commissaire d'exposition

"Des artistes des mouvements"
avec Arman, César,
Louis Cane, Sacha Sosno, Ben...

CRITIQUE D'ART


En 1995, Edouard Valdman a organisé, avec l'AFAA (Association Française d'Action Artistique-Ministère des Affaires Étrangères), une exposition internationale avec notamment Arman, César, Louis Cane, Sacha Sosno, Ben (mouvements Fluxus, Supports-Surfaces, Les Nouveaux-Réalistes) :

"Des artistes des mouvements".

Edouard Valdman fut le commissaire de l'exposition.


Renouer le fil du Sacré

En 1930, Marcel Duchamp, à l’occasion de la manifestation new yorkaise « Armory show », expose un urinoir. Sous prétexte de canular, il lance un défi à l’art traditionnel.

Désormais tout peut être œuvre d’art. C’est ce qu’on appelle le Ready Made.

Cette prise de position comporte un immense défi. Sous le regard de l’artiste tout devient œuvre. N’importe quel objet désormais peut posséder ce statut.

Il s’agit d’un projet dangereux, car l’artiste n’a plus besoin de créer en s’affrontant à la matière. Il se contente de la déployer.

C’est ainsi que Arman « accumule ». Il n’est pas un sculpteur mais un organisateur d’objets dans l’espace.

Bien plus, dans la mouvance de Duchamp, tout un chacun peut être artiste. C’est ce que clame Ben. C’est-à-dire que plus personne ne l’est.


Ce qui fait la création, ce qu’on appelle ainsi depuis l’origine de notre civilisation, c’est la Séparation. Séparation de l’homme avec Dieu, de l’homme avec lui-même, de l’homme avec l’autre. C’est dans cet espace que se meut l’artiste et qu’il créée. C’est cette Séparation qui le fonde.

Si on l’abolit, on détruit l’art en même temps que l’homme.

Telle est la prétention de Marcel Duchamp et de l’art contemporain.

L’art n’est pas une idée. Il est de la chair vivante. Il est consubstantiel à l’homme. Il est la part sacrée.

C’est une civilisation entière qui est mise en cause par l’attitude de Marcel Duchamp. Désormais, c’est le règne de la masse qui se veut créatrice alors qu’elle ignore ce qu’est l’art, vers quelles forces spirituelles il appelle.

En fait, l’art ne pourra reconquérir sa juste place qu’à l’intérieur d’une civilisation qui aura elle-même retrouvé le sens du sacré. Hors de cette dimension, point de salut.

Cette sacralité, notre civilisation ne pourra la redécouvrir qu’en revenant aux sources de sa spiritualité, qu’elle soit grecque, juive ou chrétienne.


En fin de compte, ce que postule la démarche de Marcel Duchamp c’est une désacralisation générale de la société à moins que ce soit un enchantement général du monde ce qui revient au même. Vouloir que chacun soit créateur ou le devienne est une magnifique utopie. Il est faux que tous puissent créer et que tous le désirent.

La création est réservée à une élite, non une élite sociale, mais une élite spirituelle.

C’est le contraire même d’une conception démocratique de l’art.

L’art est une élection. Seul un désir suffisamment intense permet d’y avoir accès.

Il s’agit du combat avec l’ange, celui d’une avidité spirituelle suffisamment intense qui puisse donner accès à la création. L’accès à celle-ci ne pourra advenir qu’à la suite d’un dur et long combat avec la part sacrée à l’intérieur de nous-même.

Au matin l’ange bénit Jacob. Mais désormais celui-ci est touché à la hanche. Il sera désormais le boiteux pour cause d’absolu.


L’incendie de la cathédrale Notre-Dame nous donne l’exemple de la pérennité au centre d’un monde prétendument laïc.

Sa flèche nous revient en plein cœur comme un appel au retour nécessaire à nos racines et aux plus hautes leçons de l’art.


Il est étonnant également de constater qu’au centre d’une société qui a fait de la marchandise sa valeur suprême, Léonard de Vinci trône à nouveau et attire des foules immenses au Louvre, Temple de la divinité moderne de l’art.

Le combat se livre entre le marché, instance aujourd’hui suprême, et les plus hautes valeurs de l’esprit humain.

Nous ne savons pas qui triomphera. Il s’agit d’une lutte décisive. D’un côté l’argent, l’or, le paganisme, de l’autre, la plus haute religiosité, la tentation de l’absolu.

En fait, ce qui fait la grandeur d’une civilisation, c’est son équilibre. Equilibre entre l’esprit et la matière, entre le sacré et le profane.

Gageons que les forces de l’esprit, celles que nous portons en nous triompheront des plus basses tentations de la chair au bénéfice d’un esprit revivifié aux plus hautes exigences de l’art.


Je considère que la relation directe de l’artiste avec la matière est une condition essentielle à l’existence de l’œuvre d’art. Sans elle, il y a des idées, des concepts. Il n’y a pas d’œuvres.

Tel est le problème de notre société et de notre civilisation. Nous avons perdu le contact avec la réalité, c’est-à-dire avec nous-mêmes.

Il faut retrouver une authentique relation à la création.

L’art américain désormais se fabrique en usine. Il ne peut plus porter ce nom.

Reprendre contact avec la création, c’est fonder une nouvelle métaphysique.